La communication en santé publique en période de pandémie : comparaison entre la France et le Vietnam

Christophe Daunique
7 min readFeb 21, 2021

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Carlito et McFly dans le clip de “Je me souviens”, leur clip sur les gestes barrières — Capture d’écran YouTube — McFly et Carlito

Dans cet article, je voudrais aborder le thème de la communication en santé publique en période de pandémie. Comme dans n’importe quelle crise, la communication est essentielle pour faire passer des messages auprès de la population afin qu’elle adapte son comportement pour contribuer à la résolution de la crise au lieu de l’aggraver. Dans le cas d’une pandémie, la communication a donc un rôle extrêmement important à jouer notamment pour les gestes barrières, à savoir l’ensemble des gestes individuels susceptibles de ralentir la propagation du virus. L’actualité me donne une excellente occasion de le faire avec la publication du clip du duo Mcfly et Carlito, produit à la demande du Président de la République. Je vais donc d’abord présenter ma matrice d’analyse, puis l’appliquer au clip de Mcfly et Carlito et à titre de comparaison l’appliquer à un clip similaire produit par les autorités vietnamiennes.

  1. Les critères d’une communication efficace : pertinence, compréhensibilité, impact, et restitution

Il y a de nombreuses manières de caractériser une communication efficace, à savoir une communication qui atteint ses objectifs. Pour simplifier, je retiens quatre critères que je vais détailler par la suite. Je les contextualise d’emblée à une communication dédiée aux gestes barrières, qui n’est qu’un des éléments constitutifs de la communication de crise en situation de pandémie.

  • Critère n°1, Pertinence : est-ce que la communication transmet des messages qui sont pertinents au regard des objectifs ? Pour une communication dédiée aux gestes barrières, j’en distingue deux. Primo, les gestes barrières présentés en tant que tels, sont-ils adéquats par rapport au virus ? Segundo, est-ce que les gestes barrières sont présentés avec les justifications scientifiques qui les sous-tendent pour renforcer le message ?
  • Critère n°2, Compréhensibilité : est-ce que la communication est compréhensible ou autrement dit est-ce que les messages sont présentés clairement sans possibilité de ne pas les comprendre ou de mal les interpréter ?
  • Critère n°3, Impact : est-ce que la communication a un impact ou autrement dit est-ce qu’elle marque les esprits, généralement en jouant sur le registre de l’émotion ?
  • Critère n°4, Restitution : quelle est la capacité des personnes ayant reçu la communication de la restituer sans perte ?

D’emblée, je vais exclure le dernière critère car nous manquons par définition de recul pour le clip de Mcfly et Carlito mais il serait utile de vérifier ce que le public cible (a priori les jeunes) a retenu du message.

2. Le clip de Mcfly et Carlito : une communication décalée et sympathique mais complètement inutile pour lutter contre la pandémie

Au risque d’énerver les fans du duo, mon analyse montre que ce clip n’apporte malheureusement rien et c’est bien dommage.

Critère n°1, Pertinence : 2/5, soit insuffisant pour les raisons suivantes :

  • Tout d’abord aucune justification scientifique des gestes barrières n’est présentée.
  • Ensuite, les gestes barrières ne sont évoqués que par le Président (en soleil dans le ciel) pendant 20 secondes, à partir de 3"08 jusqu’à 3"28, soit 10 % du temps utile du clip (je considère qu’il démarre vraiment à partir de 0"22 après l’introduction et qu’il s’arrête à 3"28 à l’arrivée des policiers)
  • Enfin, la liste est trop courte : “se laver les mains, éviter de s’embrasser, de se serrer la main, porter un masque y compris en voiture, aérer régulièrement les pièces, ne pas se rassembler, ne prendre aucun risque, ne pas avoir de grands regroupements”. Il manque tout ce qui concerne l’éternuement, l’utilisation de mouchoirs à usage unique et la distanciation sociale mais point positif, le geste concernant l’aération est évoqué.

Critère n°2, Compréhensibilité : 1/5 largement insuffisant pour les raisons suivantes :

  • Le duo utilise la psychologie inversée et énumère d’abord une liste d’actions qu’il ne faut pas faire : port masque sous le nez, non-porte du masque en voiture, non-utilisation du gel hydroalcoolique, éternument dans la main, entrée dans un espace confiné (ascenseur) malgré les consignes, non-respect du couvre-feu, absence d’aération de la pièce, absence de test avant d’être en contact avec une personne vulnérable (grand-mère), crachat…C’est peut-être efficace dans certaines configurations mais dans le cas présent je trouve que cela amène beaucoup trop de confusion et j’aurais préféré voir le duo présenter clairement à sa sauce les gestes barrières au lieu de les faire énoncer par le Président.
  • Le duo confond gestes barrières individuels (port du masque, éternuement, gel hydroalcoolique, absence d’aération de la pièce, crachat) qui visent à limiter les risques de contamination entre les personnes en influant directement sur les vecteurs de transmissions du virus (fomites, gouttelettes, postillons, aérosols) et les mesures collectives qui visent à éviter des situations propices à la contamination (espace confiné, non-respect du couvre-feu, absence de test).

Critère n°3, Impact : 3/5, satisfaisant. Ce critère est naturellement plus subjectif que les deux premiers. Personnellement je trouve que le duo s’en est plutôt bien tiré avec un ton décalé(mais risqué avec la psychologie inversée), quelques jeux de mots et calembours (“ou de brebis”, “ou bien de dindon”), un message chanté avec une mélodie et un refrain qui se mémorise (rime entre “sensations d’hier” et “gestes barrières”) et le sketch de la fin avec Franjo qui rappelle au passage l’amende pour non-port du masque et le fait qu’il y a un nouveau variant.

Malgré tout la sympathie que j’ai pour le duo, je trouve que l’occasion est manquée et que le clip n’apporte malheureusement rien de plus par rapport à la communication gouvernementale, si ce n’est un côté décalé. Le clip a peut-être été produit très rapidement, voire trop rapidement et il ne donne pas l’impression d’avoir bénéficié d’un conseil scientifique pour caler le contenu des messages.

3. Un exemple de clip plus adapté : Ghen Cô Vy’ au Vietnam

En février dernier, les autorités vietnamiennes ont publié un clip, passé inaperçu en France mais remarqué par ailleurs, comme dans cet article du Courrier international. A l’heure où j’écris il compte 74 M de vues.

Concrètement il s’agit d’une adaptation d’une chanson célèbre de la V-pop — pop vietnamienne inspirée de la K-pop en Corée du Sud — intitulée Ghen [“Jaloux”]. Elle a été réalisé par les chanteurs du morceau original, Erik et Min — anciens membres du groupe vietnamien St.319 –, et ses paroles ont été écrites par un producteur de musique à succès, Khac Hung, “en collaboration avec l’Institut vietnamien de la santé au travail et de la santé environnementale”. Et sincèrement, au-delà de la sympathie naturelle que j’ai pour ce pays, elle est quand même plus aboutie quand on l’analyse.

Critère n°1, Pertinence 3/5, satisfaisant pour les raisons suivantes :

  • Les gestes barrières sont énumérés (port du masque, lavage des mains, nettoyage des surfaces, évitement du contact avec les zones qui permettent l’introduction du virus). La liste aurait pu inclure les éternuements dans le coudre, et l’utilisation de mouchoirs à usage unique. Concernant l’évitement des zones avec de nombreuses personnes, ce n’est pas vraiment une mesure barrière même si elle a du sens à un niveau individuel.
  • Il y a des éléments sur l’origine du virus et surtout sur la volonté affichée qui est d’empêcher la diffusion du virus.
  • En revanche, il n’y a pas de justifications scientifiques, ce qui est une faiblesse.
  • Il n’y a rien non plus sur l’aération mais le clip date d’il y a un an à une époque où le caractère aéroporté de la maladie était moins certain.

Critère n°2, Compréhensibilité 4/5, très satisfaisant pour les raisons suivantes :

  • Les messages sont simples à comprendre (même si c’est du vietnamien, il y a une traduction en anglais ici pour les taquins).
  • Les gestes barrières sont présentés simplement, clairement et évoqués à deux reprises.
  • Le clip se concentre bien sur des mesures qui ont du sens à l’échelle individuelle même si on peut en discuter pour le fait d’éviter les espaces confinés.

Critère n°3, Impact 5/5, excellent pour les raisons suivantes :

  • Le clip a été réalisé à partir d’une musique déjà populaire et se retient encore plus facilement.
  • Il est très imagé avec ses animations.
  • Certes il a un côté propagande avec le drapeau vietnamien, l’appel à toutes les composantes de la société et les poings levés mais cela contribue à l’atteinte de l’objectif fixé.
  • Enfin, il a tellement été populaire qu’il a, je cite l’article “fait émerger une nouvelle tendance sur les réseaux sociaux vietnamiens, et particulièrement sur l’application TikTok : répondant au “#Ghencovychallenge” [“#Défighencovy”], des jeunes Vietnamiens se filment pendant qu’ils dansent, reprenant les gestes utilisés dans le clip (se laver les mains, chasser le virus) pour créer de courtes chorégraphies.”

En conclusion, il ne s’agit pas ici de prendre ici une nouvelle fois le Vietnam comme une référence absolue mais bien de montrer ce qu’il est possible de faire. Je laisse d’ailleurs à chaque lecteur le soin de se faire sa propre opinion. Personnellement, je considère que le clip vietnamien est bien plus abouti. Au delà, je déplore surtout fortement le fait qu’il ait fallu attendre près d’un an pour que les autorités françaises décident enfin de lancer une campagne grand public décalée sur les gestes barrières. Elle aurait été beaucoup plus utile à la sortie du confinement.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.