Le biopouvoir, une nécessité pour sortir de l’épidémie : l’exemple du Vietnam

Christophe Daunique
6 min readFeb 24, 2021

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Médecins dans un restaurant à Saigon s’apprêtant à collecter des échantillons des convives pour des tests Covid. Photo par VnExpress/Dinh Van

En temps normal, je me considère plutôt comme libéral, à savoir que je pense que l’Etat doit laisser chacun vivre librement sa vie sans tenter de la réglementer d’une manière ou d’une autre. Cela n’empêche en rien d’avoir un Etat régalien et un Etat social mais je considère que chacun, parce qu’il doté de raison, est responsable à titre individuel de ses choix. Par exemple il lui appartient de choisir ses études, l’endroit où il souhaite habiter, ou encore la religion qu’il souhaite pratiquer, à charge pour l’Etat de lui fournir le cadre dans lequel il pourra exercer sa liberté, sans empiéter sur celle des autres. C’est ainsi que je suis généralement assez réticent vis-à-vis de tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à la régulation des comportements individuels, comme par exemple en matière de surveillance de masse pour lutter contre le terrorisme.

Toutefois, ma conviction a fortement évoluée ces derniers temps pour deux raisons. La première est liée au changement climatique car je suis désormais convaincu que les externalités négatives liées à l’activité économique sont beaucoup trop fortes pour être prises en compte uniquement à l’échelle individuelle. Autrement dit nous n’empêcherons pas le changement climatique en nous contentant de petites actions mais ceci sera l’objet d’autres publications. La seconde est liée à l’épidémie actuelle de Covid-19. Par exception à mon principe exposé plus haut, la santé publique est dans un domaine dans lequel j’ai toujours considéré que l’Etat devait exercer un biopouvoir tel que défini par le philosophe Foucault, à savoir exercer son pouvoir sur la vie biologique des individus et donc sur la population en général, pour des raisons d’intérêt général voire de survie biologique de a population. C’est notamment pour cette raison que je suis un fervent partisan de la vaccination en règle générale car je suis convaincu que les bénéfices qu’elle apporte au niveau d’une population donnée compensent largement les effets secondaires, parfois malheureux, qui peuvent survenir.

Dans le cadre de l’épidémie de Covid-19, je considère que les caractéristiques du virus, notamment sa contagiosité et sa transmissibilité par des porteurs asymptomatiques et donc ignorant leur condition, obligent les gouvernements à exercer ce biopouvoir. Je constate d’ailleurs les pays qui ont le mieux réussi à gérer la crise sont ceux qui ont mis en œuvre une stratégie “Zéro Covid”, qui cherche à réduire le plus possible la circulation du virus entre les personnes par tous les moyens nécessaires, ce qui nécessite parfois de limiter certaines libertés individuelles.

Pour illustrer, je voudrais prendre deux exemples du Vietnam qui a mis en œuvre une stratégie de ce type (avec succès, 2401 malades, 35 morts pour 98 M d’habitants) et qui réglemente très fortement la vie de la population, aidé en cela par la nature politique du régime communiste en place.

  1. La criminalisation du non-respect des règles sanitaires en matière d’isolation

Comme cela est décrit dans cet article, le Vietnam criminalise, dans certains cas, le non-respect des règles sanitaires :

  • Cas n°1 : le steward de Vietnam Airlines à l’origine d’une poussée épidémique (3 contaminations) en décembre dernier car il n’avait pas respecté le protocole de quarantaine qui lui imposait de ne pas avoir de contacts avec d’autres personnes chez lui. Il avait rencontré un ami et était sorti dans un restaurant, entre autres ;
  • Cas n°2 : un travailleur migrant entré illégalement sur le territoire pour échapper à la quarantaine obligatoire. Il avait été signalé aux autorités par sa mère et n’avait finalement contaminé personne ;
  • Cas n°3 le plus récent : une femme de la province de Hai Duong, accusée de diffuser des maladies dangereuses, qui ne s’est pas isolée après être tombée malade, qui a continué à se déplacer et qui n’a pas souhaité partager des éléments sur son parcours empêchant ainsi le traçage des contacts (qui est manuel au Vietnam). Trois membres de sa famille sont aujourd’hui contaminés.

Cette évolution vers la criminalisation est récente car jusqu’à il y a peu, les personnes qui ne respectaient pas les règles sanitaires risquaient simplement une amende alors que désormais, il y a un risque de prison.

Que penser de cet exemple ? Sanitairement il a du sens puisque s’assurer du respect des règles sanitaires notamment en matière de quarantaine ou d’isolation limite de facto les contaminations d’autres personnes. Moralement est-il justifié de criminaliser son non-respect ? Je suis plus perplexe. Certes je considère que le droit d’un pays et donc les crimes dépendent de sa culture mais je ne suis pas toujours convaincu que la menace d’une sanction extrêmement sévère soit le meilleur moyen de faire respecter une règle. A titre personnel, je considère que chaque règle doit d’abord faire l’objet de pédagogie pour en expliquer les raisons mais qu’un revanche une sanction doit toujours être prévue et idéalement appliquée en cas de non-respect. Dans le cas d’un non-respect de l’isolation, cela me semble encore plus justifié car ce comportement, dont les conséquences sont minimes à l’échelle individuel si la personne est en bonne santé, peut avoir des conséquences dramatiques dans le cas d’une maladie infectieuse comme le Covid-19. Je suis d’ailleurs toujours perplexe de voir que, en France, les autorités n’ont toujours pas réussi à trouver le moyen de s’assurer de l’isolation effective des personnes malades, quitte à subventionner par exemple un séjour à l’hôtel ou tout aide nécessaire pour subvenir aux besoins vitaux pendant cette période.

2. La réalisation autoritaire de tests aléatoires de masse

Cet exemple correspond à la photo d’illustration et est décrit ici. Dans un quartier de Saigon, des échantillons sont recueillis de manière aléatoire auprès des convives et du personnel dans les restaurants. L’accueil n’est pas toujours enthousiaste et la police accompagne d’ailleurs les médecins. Au passage, les régulations en matière de nombre de convives sont également contrôlées. En effet, à cause de la poussée pandémique actuelle, la ville a temporairement décidé de fermer ses bars, karaokés, cinémas et discothèques, de suspendre les évènements religieux et de réduire le nombre de convives dans les restaurants.

Ces tests font partie d’un programme plus global de tests aléatoire de masse qui a commencé le 16 février après la fin des vacances du Nouvel An Vietnamien. Les autorités craignent en effet que les déplacements liés à ces vacances ne permettent au virus de se diffuser. La semaine dernière, 4800 échantillons ont été recueillis dans les lieux de transport (aéroports, gares, stations de bus…) et pour l’instant aucun ne s’est révélé positif.

Que penser de cet exemple ? Sanitairement cela a du sens puisque le risque de diffusion n’est pas nul. En revanche je suis plus perplexe sur le caractère aléatoire car, par définition, ces tests ne concernent qu’une infime partie de la population et la probabilité de tomber sur des cas positifs est donc extrêmement faible. Il me semble plus justifié de vérifier le respect de la réglementation dans les restaurants. Peut-être y a-t-il aussi une volonté de communication politique pour montrer que les autorités ne laissent rien au hasard.

En matière de libertés individuelles, ce type d’action pose également des questions. Le test PCR en tant que tel ne constitue par pour moi un problème, il est désagréable mais ne représente pas un risque pour la santé. En revanche, l’utilisation faite des données de tests est plus problématique puisqu’il s’agit de données personnelles de santé. Certains pays comme la Corée du Sud se sont dotés d’un robuste corpus juridique en la matière, s’autorisant à utiliser massivement ces données dans le cadre très précis de la lutte pandémique, avec succès jusqu’à présent. A ma connaissance, le Vietnam ne dispose pas d’un corpus équivalent et a d’ailleurs une approche beaucoup moins technologique que la Chine ou la Corée du Sud. Pour la France ou l’Europe, un tel corpus serait-il utile ? A titre personnel, je pense que oui, sous réserve d’assurer la transparence de l’utilisation et la protection des données mais pour l’instant aucun Etat européen n’a vraiment franchi le pas. Cela sera-t-il une condition pour sortir de l’épidémie ? J’aimerais que cela ne soit pas le cas mais je crains qu’il ne se faille s’y résoudre tôt ou tard.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.