Quand la fiction aurait dû permettre d’anticiper la réalité : Contagion de Steven Soderbergh

Christophe Daunique
5 min readMar 2, 2021
Poster du film

En attendant le film du mardi soir, il m’a semblé utile de revenir sur l’apport de la fiction pour permettre d’anticiper la réalité, et de le faire au travers du meilleur film récent à traiter d’une épidémie, à savoir Contagion de Steven Soderbergh, sorti en 2011.

Tout d’abord les épidémies m’ont toujours effrayé en raison de leur dimension d’inévitabilité et du fait qu’elles échappent a priori à toute dimension humaine de contrôle. Nous ne savons pas forcément pourquoi une épidémie apparaît et il y a souvent peu de choses à faire, à part subir jusqu’à ce qu’elle disparaisse, contrairement à un conflit armé par exemple où il est toujours possible de se raccrocher à l’idée que les belligérants décideront un jour de s’arrêter. Après avoir lu quelques analyses d’épidémies telles que la peste noire, les maladies européennes en Amérique ou encore la grippe espagnole au début du vingtième siècle, je me suis toujours estimé heureux de vivre à une époque où les progrès de la médecine et notamment de la vaccination, rendaient ce genre d’épidémie infectieuse a priori moins probable et surtout plus maîtrisable.

Cinématographiquement, les films traitant de pandémie ont donc toujours suscité des réactions contradictoires chez moi. D’un côté, j’étais fasciné par la manière dont ces films abordaient des situations catastrophiques de crise mais de l’autre, j’éprouvais toujours une très forte crainte que les évènements décrits ne reflètent la réalité dans toute sa dureté. En parlant de ces films, il y a bien entendu le classique film sur l’épidémie de zombies ou assimilés (World War Z, I Am Legend, la série des Night of the Living Dead de Romero…) mais heureusement pour nous ces films présentent des maladies qui n’ont aucun équivalent réaliste dans le monde actuel. D’autres films tels que Outbreak ont traité d’épidémies à partir de maladies réelles mais ils pêchaient souvent par un excès hollywoodien de non-réalisme des faits scientifiques, comme par exemple un antidote magique guérissant en quelques minutes.

Contrairement à ces films, Contagion est considéré comme l’un des premiers si ce n’est le seul à être rigoureux scientifiquement et avec un an de recul, il est frappant de voir à quel point ce film était visionnaire sur plusieurs points que je vais lister :

  • L’origine animale du virus : Dans le film, il passe d’un chauve-souris, dérangée par un bulldozer, qui le transmet à un porc via un morceau de banane, porc qui est ensuite préparé par un cuisinier en Chine qui échange une poignée de mains avec l’une des protagonistes, patient zéro qui en décède. → Nous ne savons toujours pas d’où vient exactement le virus mais je crois fermement qu’il a une origine animale et qu’il résulte d’interactions qui ne devraient pas avoir lieu entre l’homme et la faune sauvage comme d’autres virus récents d’ailleurs tels qu’Ebola.
  • La diffusion rapide du virus : Il se diffuse très rapidement dans le monde grâce aux nombreux vols existants, conséquence de la mobilité accrue de la population. → Je pense qu’il n’est pas utile d’expliquer qu’il s’est passé exactement la même chose pour le Covid-19 comme l’indique cette infographie.
  • Le virus respiratoire : Il est respiratoire, se transmet par gouttelettes et fomites, avec un taux de contamination estimé à 1 personne sur 12 et un taux de mortalité d’environ 25–30 %. → Le Covid-19 est aussi respiratoire. La bonne nouvelle est que son taux de mortalité semble plus proche de 1 % en moyenne (ce qui est quand même environ 10 fois supérieure à la grippe saisonnière), même s’il augmente avec l’âge. La mauvaise nouvelle est qu’il est très contagieux et semble capable d’affecter la quasi-totalité d’une localité s’il circule librement, à l’exemple de la ville de Manaus au Brésil où entre 65 % et 75 % des donneurs de sang, et potentiellement de la population, disposent d’anticorps et auraient donc été contaminés.
  • La réaction de la population : émeutes, violence, achat de panique. → Nous avons globalement échappé aux deux premiers, moins au dernier, lors du premier confinement. Espérons que cela continue mais il est rassurant de voir que les chaînes de productions des biens essentiels, notamment alimentaires, ont tenu le coup. En revanche, le risque d’émeutes me semble réel si la situation n’évolue pas favorablement. Des émeutes ont eu lieu aux Pays-Bas à Eindhoven par exemple à cause des restrictions sanitaires.
  • La réaction inadaptée des autorités : incapacité à penser la crise dans son ensemble, prise de risques inutiles comme fermer les centres commerciaux après la période de Thanksgiving pour des raisons économiques, complexité bureaucratique avec de multiples niveaux de responsabilités mais sans véritable responsable… → Là encore, je ne pense pas avoir besoin de qualifier la réaction initiale des autorités dans tous les pays concernés.
  • Les réseaux sociaux et le conspirationnisme : Un blogueur conspirationniste parle du virus et de son origine et promeut un traitement alternatif inefficace qui génère des achats massifs en pharmacie. → Je suis vraiment impressionné par le fait que cet aspect ait été si bien traité dans le film alors que les réseaux sociaux étaient beaucoup moins développés il y a 10 ans. Je constate également que nous avons eu le droit à une recherche constante de remèdes et médicaments miracles, qui n’ont débouché sur rien de probant pour l’instant et qui ont surtout généré des polémiques stériles et consommatrices de temps et d’énergie. Détail amusant, l’une des actrices du film , Gwyneth Paltrow (qui incarne le patient zéro), est accusée de désinformation par les autorités sanitaires britanniques car elle promeut un traitement sans fondement.
  • Le vaccin : il est produit de manière non-conventionnelle avec un test direct sur un scientifique qui est complètement en-dehors des protocoles à suivre, il est ensuite produit à grande échelle mais attribué sur une base aléatoire via une loterie avec l’attribution d’un bracelet à code-barres pour attester de son inoculation. C’est d’ailleurs le vaccin qui permet au monde de sortir de l’épidémie. → Heureusement pour nous les vaccins ont été produits en suivant les protocoles habituels, même s’ils ont été accélérés donc ils sont normalement plus sûrs que ceux du film. Nous n’avons pas non plus besoin de les attribuer de manière aléatoire. Le film n’avait pas prévu la révolution des vaccins à ARN. Enfin, la question se pose en revanche du suivi des personnes vaccinés et le passeport vaccinal peut être considéré comme l’équivalent du bracelet.

Au terme de cette analyse, il est frappant de voir à quel point ce film avait très justement l’ensemble des dimensions d’une épidémie et très démoralisant de voir aussi à quel point cela n’a absolument permis en rien une réponse initiale de qualité. Je note aussi que le film fait reposer la sortie de l’épidémie sur un vaccin sans tenir compte de stratégie de maîtrise plus drastique comme la stratégie “zéro Covid”. Il est également démoralisant de constater qu’une campagne de vaccination de masse est dans la réalité une opération logistique herculéenne comme le démontrent les ratés actuels en Europe.

Il sera intéressant de voir comment les œuvres de fiction s’empareront de l’épidémie actuelle. Le réalisateur Steven Soderbergh envisage d’ailleurs de filmer une suite. Le point rassurant est de voir que certains hommes politiques se sont inspirés du film pour anticiper leurs actions. Ainsi, récemment , le secrétaire d’État à la Santé britannique, Matt Hancock, a confié s’être inspiré du film pour mettre au point la stratégie vaccinale du Royaume-Uni.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.