Evolution d’un business model en pandémie : les discothèques

Christophe Daunique
9 min readFeb 26, 2021

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Après mon premier article sur les festivals en pandémie, je voudrais aborder le monde des discothèques (ou clubs) pour les raisons suivantes :

  • D’abord, c’est le seul type de business qui n’a jamais rouvert en France depuis le début de la pandémie avec les festivals et il n’a à ce jour aucune perspective de réouverture.
  • Ensuite, il a été beaucoup moins abordé que les bars et restaurants dans les médias alors qu’il souffre terriblement. Comme indiqué dans cet article, le Syndicat des discothèques a annoncé qu’un quart des discothèques était en train de disparaître définitivement.
  • Enfin, avant la pandémie, c’était un passe-temps que j’affectionnais, l’image en chapeau vient d’ailleurs d’une soirée que j’avais passée au Rex avec Amélie Lens mais je m’égare…

Plus sérieusement, l’idée de cet article m’est aussi venue après avoir entendu parler de la proposition d’un protocole sanitaire par le collectif des discothèques PACA — Corse que j’analyse à cette occasion.

Pour étudier l’évolution du business model d’un club en pandémie, je vais d’abord présenter le business model d’un club, puis le protocole sanitaire proposé et ensuite proposer quelques pistes de réflexion.

  1. Le business model d’un club : faire payer aux clients une bonne soirée

En définition simple, un club est un endroit physique organisant des soirées, généralement avec de la musique, qui regroupent des clients qui vont le plus souvent payer une entrée et des consommations. La taille des clubs est diverse, la musique écoutée également (électro, pop-rock…) et le public cible en conséquence mais cela n’a pas d’impact sur la nature du business model qui peut être simplifié de la manière suivante dans le schéma ci-dessous présentant les revenus et les coûts.

Côté revenus, l’équation est plutôt simple, le chiffre d’affaires d’un club se décompose comme le produit entre le nombre de clients et le revenu moyen généré par client, qui provient du ticket d’entrée et des consommations. Côté coûts, c’est un peu plus complexe. Pour simplifier, je ne vais pas prendre une décomposition classique de type coûts fixes / coûts variables mais plutôt par nature de coûts. Nous pouvons considérer qu’il y a quatre grandes catégories de coûts :

  • le coût de fonctionnement de la salle généralement composé par le loyer, et tout ce qui est nécessaire comme les charges en énergie, et divers équipements et matériels ;
  • le coût d’achat des consommations vendues : boissons, alcoolisées ou non, éventuellement de la nourriture, et dans des cas plus rares du merchandising ;
  • le coût humain du personnel : videurs à l’entrée pour filtrer et assurer la sécurité, personnel de salle pour servir les clients, personnel support pour le nettoyage et les vestiaires ;
  • enfin, le coût des artistes, très variables en fonction de leur notoriété et donc de leur capacité à attirer la foule. Pour ceux qui ne le savent pas, le tarif horaire d’un DJ peut aller d’environ 1000 € à plus de 100 000 € pour des DJ internationaux comme David Guetta.

Comme pour tout business, le club est rentable à partir du moment où ses revenus sont supérieurs à ses coûts d’où l’importance de choisir stratégiquement ses artistes pour attirer le plus de clients possibles.

2. L’impact du Covid sur un club : la transformation en un lieu de contamination en l’absence de toute mesure de protection

Les clubs ont fait partie des premières entreprises à fermer lors de l’apparition de la pandémie. Je me rappelle d’ailleurs de cette soirée du 13 mars dans un club parisien qui a été annulée à la dernière minute juste avant le confinement. A l’époque, les modes de transmission du virus n’étaient pas très clairs mais il apparaissait déjà que les clubs, de par leur brassage de population et leur promiscuité, étaient potentiellement des lieux à risque. L’état actuel des connaissances le confirme et il y a trois principaux modes de transmission du virus.

  • les fomites, des surfaces ou des objets contaminés par le virus et qui peuvent donc le transmettre en passant par les mains d’où l’importance des les nettoyer ;
  • les gouttelettes ou postillons, des particules humides émises en parlant ou en toussant, d’où l’importance de porter un masque et de se tenir à distance ;
  • les aérosols, des micro-particules émises par la respiration et qui contiennent le virus en infime quantité. Il y a aujourd’hui débat au sein de la communauté scientifique pour déterminer l’importance respective des gouttelettes et des aérosols et consensus pour dire qu’il y a trop d’importance accordée aux surfaces. Ma conviction personnelle est que les aérosols sont le problème majeur aujourd’hui, notamment en raison de l’analyse de certains modes de contamination dans des hôtels de quarantaine en Australie, dans un bus chinois ou sur le bateau Diamond Princess au Japon. C’est ce qui justifie aujourd’hui le port du masque mais aussi et surtout l’amélioration de la ventilation dans tous les endroits clos, point qui me semble trop peu expliqué aujourd’hui.

A la lecture de ces trois modes de transmission, il est évident que se rendre dans un club est une activité risquée en période de pandémie. Par définition, un client va généralement toucher de nombreux objets, comme par exemple les verres de ses consommations, la piste de danse est faite pour que les gens soient côte à côte et le plus souvent le club se situe dans un endroit clos. Un protocole sanitaire adapté est donc nécessaire mais est-il possible d’en avoir un qui réduise suffisamment les risques ?

3. Le protocole sanitaire proposé par le collectif : une initiative qui va dans la bonne direction mais qui traite trop peu le risque aérosols

Comme indiqué plus haut, le collectif des discothèques PACA-Corse a proposé un protocole sanitaire. N’ayant pas eu accès à son détail, j’ai extrapolé les mesures à partir de la vidéo de présentation. Avant de procéder à l’analyse, il faut rappeler que l’objectif principal du protocole sanitaire est de réduire les risques de contamination le plus possible. Toutefois en amont, l’objectif peut aussi être d’empêcher les personnes porteuses de se rendre dans le club, et en aval d’identifier rapidement les cas contact en cas de présence d’un porteur. J’ai donc fait une rapide analyse du protocole au regard de ces objectifs et des modes de transmission.

Mes conclusions sont les suivantes :

  • Rien n’est fait sur l’identification en amont, mais cela me semble difficile pour un club de manière isolée ;
  • L’identification en aval est prévu via le QR Code, ce qui est une bonne idée pour tracer les cas contacts même s’il reste à préciser comment cela s’articulerait avec une application de type Tous Anti Covid qui ne prévoit pas ce système aujourd’hui comme en Chine par exemple ;
  • Une grande attention est portée aux risques de contamination via les fomites et gouttelettes même si la distance me semble trop courte, on parle aujourd’hui de 2 mètres plutôt que d’un ;
  • Le risque de transmission par les aérosols ne me semble pas suffisamment pris en compte, le protocole parle seulement d’un renouvellement de l’air toutes les 7 à 8 minutes ce qui est très vague.

Selon moi, ce dernier point sur la ventilation est la faiblesse principale du protocole. Il faut bien comprendre que le risque aérosol est lié au nombre de personnes présentes dans le club, plus il y a de personnes, plus il y a potentiellement des aérosols contaminants dans l’air, et encore plus dans la mesure où les gens retirent leur masque pour boire. Sans aération, le nombre de particules de virus augmente au fil du temps et la probabilité d’être contaminé avec. Une ventilation forte est donc nécessaire pour retirer aussi rapidement que possible les particules émises. J’ai essayé de trouver des critères pour évaluer une ventilation de qualité et je suis tombé sur le concept de Air change per hour (ACH) à savoir le nombre de fois par heure où l’air d’une pièce est complètement renouvelé. Cet article donne plusieurs mesures standards allant de 0,35 chez soi à 20 dans un avion. En extrapolant la mesure du protocole d’un remplacement toutes les 7 à 8 minutes, cela donnerait un ACH compris entre 7,5 et 8,5 ce qui est plutôt satisfaisant puisque comparable à un bureau mais qui est à mon avis insuffisant dans la mesure où les clubs présentent deux risques majeurs supplémentaires par rapport à un bureau. D’abord, les clients consomment donc ils sont amenés à retirer le masque. Ensuite, malgré tous les efforts du personnel, la nature même de l’activité fait qu’il me semble irréaliste de considérer que l’ensemble des clients respectera à 100 % les gestes barrières pendant toute la durée de la soirée. A mon sens, il vaudrait mieux viser l’ACH d’un avion soit au minimum 10, ce qui représente un renouvellement total de l’air au moins toutes les 6 minutes.

4. Mes idées pour progresser : renforcer le traitement de la ventilation dans le protocole et procéder à des expérimentations

Le protocole ne traite pas suffisamment le risque aérosols donc comment faire pour le prendre en compte suffisamment ? Comme indiqué auparavant, je suggère d’être beaucoup plus ambitieux en visant un ACH plus élevé et d’utiliser en plus différentes techniques comme celles décrites ici :

  • ajouter des filtres MERV 13 dans la ventilation pour filtrer davantage ;
  • ajouter des filtres portables HEPA, filtre à air à haute efficacité, par exemple à chaque table ;
  • ajouter des lampes à UV pour stériliser, notamment dans les toilettes ;
  • revoir tous les flux d’air pour s’assurer qu’ils soient dirigés en vertical, comme dans un avion et non du haut vers le bas ;
  • utiliser des capteurs à CO2 comme proposé par le collectif Ducôtédelascience, ce qui est une autre manière de mesurer le renouvellement de l’air, en visant un taux de CO2 < 700 ppm.

Le problème majeur de tous ces dispositifs est qu’ils vont augmenter le coût des fonctionnements des clubs de manière non-négligeable alors même que la nouvelle configuration diminue de facto le nombre maximal de clients, d’environ 30 % d’après le collectif de discothèques. Certes le coût humain peut être revu à la baisse et le tarif des artistes aussi dans le contexte actuel mais l’équilibre économique reste fragile et cela impliquerait probablement une augmentation du prix moyen de l’entrée et des consommations pour compenser. En revanche, dans une logique de prévention de la santé publique, il me semblerait plutôt justifié que les autorités publiques subventionnent en partie les travaux nécessaires pour améliorer la ventilation. Cela pourrait faire l’objet d’un engagement mutuel entre les autorités et les clubs, ces derniers s’engageant à mettre en œuvre un protocole draconien et à être contrôlés dans son respect.

Une option envisageable mais non abordée par le protocole serait d’identifier les porteurs en amont. C’est d’ailleurs ce qu’envisagent certains clubs anglais avec des tests rapides mais en l’absence de tests rapides fiables à 100 %, c’est prendre un gros risque comme le montre cette expérience où l’idée une bulle de test a échoué, avec la contamination de plusieurs participants malgré des tests PCR négatifs tous les jours. La vaccination est aussi envisagée comme une solution, mais tant qu’il n’est pas prouvé que les vaccins ont un effet significatif sur la transmission, cela ne me semble pas non plus suffisant.

A l’heure où j’écris cet article, le collectif ne semble pas avoir reçu de réponse des autorités ce que je regrette. En effet, comme tout business, les clubs doivent pouvoir travailler et je souhaite ardemment que les clubs rouvrent à titre personnel. En revanche, je suis également catégorique sur le fait que cela doit être fait en toute sécurité, et je suggère donc au collectif et aux autorités de mettre en place des expérimentations pour tester en grandeur nature le protocole sanitaire à l’image de ce qui a été annoncé par Roselyne Bachelot pour des concerts tests en mars et avril. Une nouvelle fois, inspirons-nous de ce qui se fait ailleurs par exemple en Espagne. Comme cela est décrit ici, les salles espagnoles vont être équipées de matériel pour éliminer 100 % des traces du virus dans l’air, matériel certifié par l’ENAC, une autorité officielle.

Enfin, il serait utile d’anticiper l’arrivée des beaux jours et de voir dans quelles conditions des clubs pourraient rouvrir en extérieur, même si je ne suis pas très fan à l’idée d’être assis comme en festival.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.