Le pass sanitaire : une mesure utile dans les circonstances actuelles mais qui n’est pas infaillible et qui doit être sécurisée

Christophe Daunique
9 min readMay 13, 2021

A la suite des dernières péripéties concernant le pass sanitaire en France, qui a été finalement été adopté par l’Assemblée nationale, j’ai souhaité me faire un avis en tant que citoyen. Dans un article précédent, j’avais déjà abordé la question du passeport vaccinal qui n’est pas exactement la même selon moi, et que je souhaite d’ailleurs actualiser au regard des dernières connaissances scientifiques concernant les vaccins. Par conséquent, je n’aborderai pas ici tout qui relève du franchissement des frontières et je vais me concentrer sur le pass sanitaire, utilisé au sein du territoire national. Pour cette réflexion, je vais principalement m’appuyer sur les derniers avis rendus, celui du Conseil scientifique rendu le 3 mai dernier, et celui de la CNIL qui a été rendu le 12 mai. Cela me permettra également de les commenter tout au long de ma réflexion.

1. Le pass sanitaire doit servir à conditionner l’accès à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes, à la présentation d’une preuve relative à l’état de santé de la personne.

La description du dispositif par le Gouvernement figure ici. Que Choisir en propose une version que je trouve très complète ici. Voici les principales caractéristiques que je retiens pour la réflexion.

  • Principe et champ d’application : Le pass sanitaire conditionne l’accès à certains lieux, établissements ou évènements impliquant de grands rassemblements de personnes → Concrètement, à partir du 9 juin, il est obligatoire dans les lieux ou lors d’évènements rassemblant plus de 1000 personnes, à savoir les stades, concerts et festivals, les parcs de loisirs ou encore des foires, salons et expositions. En revanche, il ne s’applique pas aux lieux quotidiens : commerces, bureaux, services publics, restaurants, bars ou aux lieux ceux liés à certaines manifestations habituelles de libertés fondamentales (notamment la liberté de manifester, de réunion politique ou syndicale et la liberté de religion).
  • Définition de la preuve relative à l’état de santé : L’accès aux lieux, établissements ou évènements est conditionné à une preuve relative à l’état de santé de la personne. A ce stade, cette preuve peut porter sur trois éléments non cumulatifs : un test de dépistage virologique négatif, PCR ou antigénique, un justificatif de vaccination ou une attestation de rétablissement à la suite d’une contamination.
  • Modalités pratiques : Concrètement, le pass sanitaire se présente sous deux formats. Le premier format est numérique via l’application TousAntiCovid Carnet, qui est un outil permettant de stocker les différents certificats d’une personne, mais aussi ceux de ses enfants ou de personnes dont elle a la charge. Le second format est papier en présentant directement les différents documents demandés.

2. En l’état actuel des connaissances scientifiques, le pass sanitaire est une mesure efficace de réduction du risque lié aux grands rassemblements de personnes, qui n’est toutefois pas infaillible.

En conditionnant l’accès aux grands rassemblements à certaines personnes, le pass sanitaire cherche à diminuer le risque que ces grands rassemblements représentent en diminuant la probabilité qu’une personne porteuse du virus y participe. Cet objectif me semble fondé scientifiquement puisqu’il semble que cette épidémie soit principalement entretenue par des évènements de superpropagation.

En l’état actuel des connaissances, les trois éléments de preuve me semblent également fondés scientifiquement :

  • En plus de protéger très efficacement contre les formes graves de la maladie, le vaccin semble constituer une protection efficace contre l’infection par le virus. De plus, il semble également diminuer la charge virale même en cas d’infection, contribuant ainsi à diminuer la contagiosité et donc le risque de transmission. En revanche, cette protection n’est pas absolue et il est impossible de dire qu’il n’y aucune chance qu’une personne vaccinée ne puisse pas transmettre le virus. Cet article journalistique présente les dernières connaissances à ce sujet.
  • L’immunité naturelle acquise après infection semble également réelle et maintenue pendant une période longue de l’ordre de 6 mois. Plusieurs études vont dans ce sens, comme celle citée ici. En revanche, il est également important de rappeler que des cas de réinfection existent même s’ils sont extrêmement rares et que des doutes existent sur l’étendue de la protection conférée face à des variants. Là encore, les exemples de Manaus et de l’Inde m’incitent à la prudence et à ne pas considérer cette immunité comme absolue.
  • Les tests négatifs, qu’ils soient PCR ou antigéniques, permettent d’indiquer a priori l’absence de virus et donc de diminuer la probabilité que la personne concernée soit porteuse. En revanche, ils ne sont pas infaillibles, d’abord parce qu’ils doivent être bien réalisés, ensuite parce qu’il y a des faux négatifs, enfin parce qu’en raison des délais entre la réalisation du test et l’obtention des résultats, il est possible d’être contaminé entretemps. Ce témoignage montre par exemple que même des tests PCR réalisés quotidiennement ne suffisent pas.

En résumé, ces trois éléments de preuve permettent bien de diminuer la probabilité qu’une personne porteuse du virus participe au grand rassemblement. En revanche, ils ne sont pas infaillibles et n’éliminent pas complètement le risque. Par ailleurs, cette diminution de la probabilité est difficilement quantifiable ce qui pose question.

3. La détermination des rassemblements concernés par le pass sanitaire constitue une décision politique dans un contexte d’incertitude, qui doit donc être expliquée.

Le pass sanitaire permet bien de diminuer le risque lié aux grands rassemblements mais cette diminution du risque est difficilement calculable ce qui permet théoriquement de justifier deux positions opposées :

  • Puisque l’ampleur de la diminution du risque est incertaine, il pourrait être légitimement considéré que cette mesure présente un intérêt trop limité au regard de l’atteinte aux libertés individuelles.
  • Au contraire, puisque la diminution du risque est réelle même si son ampleur est incertaine, il pourrait également être considéré que cette mesure devrait s’appliquer à tous les rassemblements, quelle qu’en soit la nature et la taille, et donc adopter un modèle de pass plus proche de celui du modèle israélien où il est par exemple demandé pour manger à l’intérieur d’un restaurant.

A titre personnel, mon avis est le suivant :

  • Le pass sanitaire présente un intérêt sanitaire réel dans la situation actuelle de pandémie puisqu’il permet de diminuer le risque qu’une personne contaminée participe à un grand rassemblement et que ces grands rassemblements jouent un rôle majeur dans la dynamique de l’épidémie.
  • Il ne concerne que des rassemblements non vitaux et n’empêchent donc pas de vivre au quotidien ce qui me semble constituer un compromis acceptable entre protection sanitaire, et libertés individuelles. Par ailleurs, en ne restreignant pas la preuve à l’infection ou au vaccin, il laisse une possibilité aux personnes ne souhaitant pas se faire vacciner de participer à ces rassemblements en se faisant tester, et ce d’autant plus que les tests PCR sont complètement remboursés en France.
  • En revanche, je suis beaucoup plus perplexe vis-à-vis du seuil de 1000 personnes car je ne comprends pas en fonction de quels éléments il a été établi. A priori un rassemblement de 500 personnes présente également un risque important.

Pour convaincre la population de l’intérêt de ce dispositif, je pense que le Gouvernement aurait tout intérêt à fournir un argumentaire détaillé, et à présenter ses hypothèses chiffrées de réduction de risques, en s’appuyant sur une expertise scientifique, notamment pour justifier le fait de placer le seuil à 1000 personnes et non à un autre niveau. Comme je l’ai souvent écrit au cours de cette pandémie, nous gagnerions tous à ce que les autorités présentent plus clairement leur raisonnement et les hypothèses sous-jacentes.

Dans son avis, la CNIL s’est prononcé sur le sujet des rassemblements concernés, et je ne suis que partiellement d’accord avec elle :

  • Je suis d’accord avec elle lorsqu’elle demande à ce que ce soit explicitement interdite “la possibilité pour les responsables des lieux qui ne sont pas visés par le dispositif de conditionner, de leur propre initiative, l’accès à la présentation des preuves numériques certifiées” → en effet, comme le pass sanitaire constitue une limitation justifiée des libertés individuelles, elle ne peut relever que de l’Etat et en aucun cas un particulier ne peut décider de sa propre initiative de le faire ;
  • Toutefois, je ne suis pas d’accord avec elle lorsqu’elle considère que la loi devrait encadrer davantage la nature des lieux, établissements et évènements concernés et le seuil de fréquentation simultanée minimal. Je considère en effet que cette crise sanitaire nécessite une forte réactivité des autorités en cas de dégradation de la situation sanitaire ce qui est incompatible avec le temps législatif. Il me semblerait plus pertinent de fixer ex ante le cadre de contrôle de l’évolution de ce dispositif, par exemple en obligeant le Gouvernement à fournir une justification détaillée de l’évolution à la représentation nationale, une sorte d’étude d’impact mais beaucoup plus rigoureuse.

4. Le pass sanitaire est un dispositif exceptionnel qui doit être temporaire, sécurisé, et idéalement entièrement numérique.

Je suis d’accord avec le Conseil scientifique et la Cnil concernant le caractère exceptionnel et donc temporaire du pass sanitaire. Contrairement à ce que disent les ignorants, le Covid est un virus suffisamment dangereux pour que nous disposions de ce type de dispositif alors qu’il aurait beaucoup moins d’intérêt pour d’autres malades infectieuses comme la grippe. Par ailleurs, comme la CNIL, et dans la lignée de ce que je préconise en matière de transparence de la décision, je considère que l’impact de ce dispositif sur la situation sanitaire doit être étudié et documenté de manière fréquente, à intervalle régulier et à partir de données objectives. De plus, les pouvoirs publics doivent présenter publiquement les éléments justificatifs de son maintien.

Concernant la sécurité du dispositif, elle me semble également indispensable. Comme la CNIL, je pense que le dispositif au format électronique devrait se contenter de faire apparaître au vérificateur à l’entrée une validation, avec un code de couleur (vert), sans donner le détail de la preuve (test, vaccin, infection), tout en sécurisant le lien entre la preuve, et l’identité de la personne.

En revanche, je ne suis pas totalement convaincu par l’absence d’historique de fréquentation. En effet, je considère que le contact tracing pourrait être rendu plus efficace s’il était possible d’identifier toutes les personnes présentes dans un lieu public à un moment donné afin de remonter les chaînes de contamination. Malgré l’avancée de la vaccination, je pense qu’un dispositif tester / tracer / isoler devrait être maintenu. Dans le cas des grands rassemblements, cela permettrait de contacter beaucoup plus facilement les personnes présentes si une trace de leur passage était conservée, dans des conditions satisfaisante de sécurité bien entendu, avec un accès à ces données restreint aux seules personnes dûment habilitées.

Par ailleurs, concernant le format, je suis également en désaccord avec la CNIL et j’irais même plus loin que le Conseil scientifique en imposant un format électronique pour les raisons suivantes :

  • Le format papier est beaucoup trop facilement falsifiable et pas assez sécurisé. Il est beaucoup trop facile de se procurer un faux test négatif et de nombreux articles de presse le montrent comme ici. Or ces faux tests font courir un risque important dans un grand rassemblement, de surcroît dans une population qui n’est pas encore complètement immunisée par le vaccin. Seul le format numérique présente un niveau de sécurisation suffisant.
  • Le format papier me semble moins pratique à manipuler à l’entrée des grands rassemblements. Un format numérique permettrait de contrôler beaucoup plus rapidement, et de combiner dans un même acte le contrôle d’identité et le contrôle sanitaire.

La CNIL soulève à juste titre des craintes sur l’exclusion de certaines populations, notamment celles qui ont du mal à manipuler les smartphones, mais je considère qu’il est possible d’y remédier. On pourrait par exemple imaginer que toutes les personnes le souhaitant puissent se voir doter d’un smartphone basique à prix cassé, avec une aide à la prise en main du smartphone et à l’utilisation de l’application TousAntiCovid.

En conclusion, ma position en faveur du pass sanitaire est motivée par un ensemble d’éléments que j’ai exposés. C’est une mesure utile dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons.

Par conséquent, j’estime que toutes les personnes qui crient au despotisme, à la dictature ou à l’apartheid, en plaçant notamment la liberté comme une valeur absolue sans prendre la peine d’analyser dans le détail ce qu’implique cette mesure, sont complètement ridicules. On peut légitimement soulever des doutes et des interrogations mais on ne peut pas décemment faire fi du contexte exceptionnel que représente cette épidémie. A titre d’exemple, ce genre de tribune en représente un parfait exemple caricatural. Son auteur montre clairement qu’il n’a absolument rien compris à la crise sanitaire puisqu’il rappelle comme d’autres le taux de mortalité qui ne constitue qu’un des aspects du problème.

En revanche, l’utilité de cette mesure ne doit pas occulter les risques qu’elle représente en matière de libertés individuelles, ce qui nécessitera une attention particulière aux détails de sa mise en œuvre qui ne doivent pas être traités comme de la simple intendance. A titre personnel, je souhaite que cette crise sanitaire constitue l’occasion pour nos sociétés humaines de s’interroger ex ante sur les sacrifices et mesures qu’elles sont disposées à prendre en cas de crise majeure au lieu de le faire dans la précipitation au moment où elles surviennent.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.