Retourner à la vie d’avant avec prudence : comment et quand sortir d’une stratégie “Zéro Covid” ?

Christophe Daunique
9 min readMay 9, 2021

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Saïgon, Vietnam (https://pixabay.com/fr/users/instagramfotografin-5746148/)

Nouvel article dont l’idée m’est venue après voir vu un tweet du journaliste Vincent Glad qui faisait référence à cet article, “As West races back to travel, ‘zero-Covid’ economies like Hong Kong, Singapore and Australia face hermit risk”. Comme l’auteur de cet article, je m’interroge sur l’avenir des pays concernés et sur la manière dont ils sortiront de leur stratégie “Zéro Covid”.

Pour la France, voire l’Europe, cette réflexion n’est pas très pertinente puisque, malgré mon souhait de voir mise en œuvre une stratégie de ce type (que j’ai détaillée ici et ), je ne peux que constater qu’il n’existe pas d’orientation vers ce type de stratégie. En revanche, pour les pays concernés, c’est effectivement une question importante, et ça l’est également pour les personnes qui souhaitent s’y rendre. Cette réflexion va aussi me permettre d’aborder la stratégie vaccinale dans ces pays, notamment le Vietnam.

1. Pendant une pandémie, il existe un triangle d’incompatibilité entre ouverture des frontières, faible circulation virale et ouverture de l’économie.

En m’inspirant du triangle d’incompatibilité de Mundell, je propose un concept similaire pour la pandémie de Covid-19 que nous connaissons avec le triangle d’incompatibilité suivant :

Je définis les termes de la manière suivante :

  • ouverture des frontières : les frontières sont ouvertes quand il n’y a aucun contrôle sanitaire comme avant la pandémie, elles sont fermées lorsqu’il y a des mesures de contrôle contraignantes du type quarantaine aux frontières ;
  • faible circulation virale : le terme me semble explicite, concrètement cela se mesure par une incidence très faible voire nulle ;
  • ouverture de l’économie : l’économie est ouverte quand tous les secteurs sont ouverts et fonctionnent normalement, elle est fermée à partir du moment où certains secteurs le sont également ou fonctionnent de manière dégradée

En résumé, il est impossible d’avoir à la fois une ouverture des frontières, une faible circulation virale et une ouverture de l’économie. Il n’est possible de n’avoir que deux pointes du triangle sur trois, soit une combinaison parmi les trois :

  • Combinaison n°1, laisser-faire : les frontières sont ouvertes avec des contrôles légers du type test PCR qui sont partiels et donc insuffisants, l’économie est ouverte notamment les bars, et restaurants voire les clubs. Conclusion logique, la circulation virale est forte même si elle est officiellement sous-estimée. C’est l’exemple de Tulum au Mexique.
  • Combinaison n°2, mitigation : les frontières restent ouvertes, notamment sans quarantaine obligatoire aux frontières mais les autorités veulent une circulation virale faible pour ne pas saturer le système de santé. La variable d’ajustement est alors l’économie avec des pans entiers qui ferment, notamment toutes les activités considérées à risque comme les bars et restaurants, les salles de sport… C’est globalement la situation des pays européens avant la mise en œuvre de quarantaine aux frontières.
  • Combinaison n°3, Zéro Covid : la circulation virale est très faible voire nulle, et l’économie est complètement ouverte, notamment les bars, restaurants, clubs et même concerts et festivals. En revanche, les frontières sont fermées. L’entrée est réservée à des catégories limitatives du type ressortissant national, diplomate ou expert et interdite à des touristes. Pour ceux qui peuvent rentrer, une quarantaine obligatoire est imposée, généralement de 14 jours. Les pays concernés sont notamment la Chine, Hong-Kong, Taïwan, Singapour, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Vietnam…

2. Les pays ayant mis en œuvre une stratégie Zéro Covid sont parvenus à éliminer le virus sur leur territoire, notamment grâce à un contrôle draconien des frontières.

Pour rappel, ces pays ont cherché à ne pas vivre avec le virus et s’en sont donnés les moyens.

  • Tout d’abord, ils ont mis en œuvre des mesures très contraignantes de réduction de la circulation virale, notamment grâce à un dispositif tester / tracer / isoler performant voire des confinements locaux.
  • Ensuite, ils se sont assurés en même temps de la non-introduction de virus en provenance de l’extérieur grâce à des quarantaines obligatoires aux frontières, très souvent dans des installations dédiées, y compris pour les ressortissants nationaux.

Les résultats sont là, la circulation virale est aujourd’hui extrêmement faible dans ces pays. Généralement les seules personnes porteuses du virus sont détectées en quarantaine et isolées. En revanche, il arrive que des cas apparaissent en-dehors, le plus souvent à cause de contaminations au sein de l’hôtel de quarantaine.

La fermeture des frontières présente toutefois des inconvénients majeurs :

  • Elle est bien plus aisée pour un territoire isolé, notamment une île mais pas impossible pour un pays terrestre, l’exemple du Vietnam le montre ;
  • Elle a un coût social et psychologique puisque certaines familles ne peuvent se retrouver ;
  • Elle a un coût économique notamment pour le secteur touristique local ou pour l’enseignement supérieur, puisque sa composante internationale disparaît quasi complètement. En revanche, la fermeture des frontières n’a pas d’impact sur la circulation des biens et marchandises, ou alors très marginalement.

En synthèse, cette option n’est pas parfaite mais aucune option ne l’est en situation de pandémie. Ces pays ont fait le choix de privilégier l’économie et la santé de leur population et de sacrifier l’ouverture des frontières. Après plus d’un an de pandémie, je considère qu’ils ont eu raison et que leur situation est bien plus enviable que la nôtre. Je doute d’ailleurs que la majorité des habitants regrette ce choix. En revanche, il est normal que des voix locales comment à s’élever pour savoir quand ces pays vont rouvrir.

3. La stratégie “Zéro Covid” est une stratégie temporaire, le temps d’atteindre une immunité collective suffisante par la vaccination.

Pour sortir du triangle d’incompatibilité, il y a un facteur supplémentaire qui intervient et qui n’existe pas au début de la pandémie, il s’agit du vaccin. En effet, le vaccin agit à deux niveaux :

  • S’il protège contre la maladie en empêchant les formes graves, le virus ne risque plus de saturer le système de santé. Peu importe alors la circulation virale, même alimentée par des personnes extérieures porteuses du virus, la population immunisée par le vaccin ne pourra plus tomber malade.
  • S’il protège contre la transmission, les personnes vaccinées ne peuvent plus transmettre le virus donc, même dans une population peu ou partiellement immunisée par le vaccin, les personnes extérieures vaccinées ne présentent plus de risques.

Dans les deux cas, cela aboutit à revenir à un triangle complet puisque l’ouverture des frontières, même pour des personnes extérieures non vaccinées ne contribue plus à augmenter la circulation virale dans la population locale.

Qu’en est-il donc aujourd’hui avec les vaccins disponibles ?

En revanche, il reste une incertitude forte concernant l’étendue de cette protection contre la transmission. A l’heure actuelle, il semble qu’elle soit forte mais pas totale donc théoriquement une personne extérieure vaccinée pourrait être porteuse du virus et l’introduire dans la population locale. Quels sont alors les cas de figure envisageables :

  • Ouvrir les frontières aux personnes extérieures vaccinées présente un risque non négligeable. A supposer que les vaccins protègent à 99 % de la transmission du virus, sans quarantaine, accueillir 700 000 touristes vaccinés (soit le nombre annuel de tourismes américains en 2019 au Vietnam d’après cette étude), revient à accueillir 7000 touristes porteurs du virus par an soit environ 580 touristes porteurs par mois ce qui représente un risque important dans une population non immunisée. On pourrait imaginer détecter ces touristes avec des tests PCR et antigéniques à l’arrive mais ces méthodes ne sont pas non plus fiables à 100 %.
  • Par conséquent, l’option la plus sûre reste de vacciner la population afin de la protéger des formes graves de la maladie et atteindre l’immunité collective mais pour cela il faut des vaccins.

4. L‘exemple de la stratégie vaccinale dans un pays “Zéro Covid” comme le Vietnam : le pays veut vacciner mais ne dispose pas de doses.

Je m’intéresse ici au cas du Vietnam car c’est le pays que je connais le mieux et que je trouve aussi représentatif de la situation des pays émergents. Quelle est la situation de la campagne de vaccination aujourd’hui au Vietnam ?

  • Elle avance très lentement. A la date du 7 mai, le Vietnam n’avait vacciné que 0,86 % de sa population avec au moins une dose contre près de 10 % pour le Cambodge voisin.
  • Cette situation ne résulte pas d’une absence de volonté de se faire vacciner. Bien au contraire, la population vietnamienne est celle qui veut le plus se faire vacciner au monde, à hauteur de 98 % d’après ce sondage.
  • Le vrai problème est le manque de doses. A l’heure actuelle, le gouvernement vietnamien n’a reçu que 120 000 doses directement d’AstraZeneca et environ 800 000 doses via le dispositif Covax. Il les a d’ailleurs pratiquement toutes utilisées puisqu’environ 830 000 personnes ont été vaccinées.
  • Le gouvernement a aussi envisagé d’obtenir des doses auprès de Pfizer. En revanche, contrairement au Cambodge, les vaccins chinois ne sont pas envisagés ce qui me semble une bonne idée au vue de leur plus faible efficacité.
  • D’après le même article, il pense disposer de 60 millions de doses d’ici la fin de l’année soit de quoi couvrir 30 millions de personnes, ce qui représente environ 30 % de sa population de 98 millions.
  • De plus, les scientifiques locaux travaillent également sur deux vaccins, Nanocovaxx qui vient d’entrer en phase 3, et Covivaxx en phase 1.
  • Enfin, le Vietnam aimerait bénéficier de transferts de technologies pour produire des vaccins mais pour l’instant, rien de concret n’a encore émergé.

En résumé, au rythme actuel, l’immunité collective ne sera pas atteint au mieux avant 2022 ce qui risque de ralentir la réouverture des frontières.

5. Comment rouvrir en attendant l’immunité collective : le Vietnam n’a pas encore tranché.

A l’heure actuelle, le gouvernement vietnamien n’a pas encore tranché définitivement sur la conduite à adopter pour rouvrir les frontières. Plusieurs pistes sont envisagées :

6. En conclusion, mon opinion personnelle : rester prudent et attendre l’immunité collective par la vaccination pour tout rouvrir.

Je considère que le gouvernement vietnamien a extrêmement bien géré la pandémie et qu’il ne doit pas surtout pas gâcher ses efforts malgré les inconvénients de sa stratégie “Zéro Covid”.

  • Je trouve que les experts cités dans l’article initial sont beaucoup trop critiques concernant les pays “Zéro Covid”. Il est notamment incongru que l’expert cité, Peter Collignon, déclare que les pays concernés doivent accepter un certain niveau de diffusion du virus au risque de devenir des pays ermites. Un pays comme le Vietnam ne dispose pas d’un système de santé capable d’encaisser une vague épidémique même de faible ampleur et prendrait un risque trop important à rouvrir trop tôt.
  • La population vietnamienne est probablement l’une des plus disposées au monde à attendre le temps nécessaire, surtout après une guerre d’indépendance de près de 30 ans…
  • Le gouvernement vietnamien a raison d’attendre d’avoir des garanties concernant le niveau de protection offert par les vaccins, notamment en matière de transmission. Par ailleurs la différence d’efficacité entre les vaccins devrait aussi être prise en compte selon moi.
  • En attendant, les catégories de touristes envisagées me semblent pertinentes. Mieux vaut un touriste en provenance d’un pays avec une faible incidence qu’avec une forte incidence.
  • De même, des initiatives tests pourraient être utiles pour vérifier en situation la transmission du virus pour les personnes vaccinées. A titre d’exemple, l’île de Phu Quoc pourrait être considérée comme une zone spéciale d’autant plus que l’île est déjà une destination touristique privilégiée.
  • Pour les autres touristes, les quarantaines devraient être maintenues.
  • La prudence devrait aussi être maintenue vis-à-vis des pays où apparaissent des variants (variant of concern) susceptibles de mettre à mal l’immunité vaccinale, avec des mesures spécifiques du type quarantaine obligatoire voire suspension des vols.
  • Enfin, le Vietnam, comme les autres pays émergents, doit être aidé pour recevoir des vaccins. Il me semble logique que les pays les plus affectés par la pandémie, notamment les pays européens soient servis en premier car ils ont plus besoin des vaccins que le Vietnam. En revanche, la production globale de vaccins doit être augmentée par tous les moyens disponibles pour que la population mondiale soit vaccinée le plus rapidement possible.

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Christophe Daunique

Management consultant, specialized in public policies. I used to write about Covid-19. Now I’ll write about other stuff, including live music entertainment.